HARCELEMENT DE RUE : INTERVIEW EXCLUSIVE DE MARIE LAGUERRE
Marie Laguerre, cette jeune étudiante de 22 ans s'est fait harcelée et agressée dans la rue pendant l'été près d'un café à Paris par un déséquilibré qui a écopé de 6 mois ferme d'emprisonnement .
Marie Laguerre : " Beaucoup m'ont demandée mon ressenti après le procès qui a eu lieu la semaine dernière, jeudi 4 octobre, et qui clôturait 2 mois très intenses pour moi. J'ai donc rédigé ce texte, que Libération a gentiment publié dans son édition d'aujourd'hui. ✊ Le voici, en version un peu plus longue :
J’ai gagné une bataille.
Je me suis battue jusqu'au bout, non pas seulement pour obtenir justice pour mon agression, mais pour toutes les femmes. Car quand un homme harcèle, agresse, humilie, blesse ou tue une femme, c'est #NousToutes qu'il attaque. Je me suis battue pour mettre en lumière les injustices profondes qui affectent la vie des femmes, comme tant d’autres l’ont fait et le font au quotidien.
Les féminicides. Les mutilations sexuelles. Les viols. L'exploitation sexuelle. Les coups. Les agressions sexuelles. Les insultes. Les humiliations. Les menaces. Les harcèlements. Les violences sexistes et sexuelles sont des faits quotidiens, habituels, banalisés. Le sexisme est profondément ancré dans nos sociétés, ici, en France, et dans le monde entier. C'est un combat long, difficile, éreintant, épuisant mais ô combien important. Il nous concerne toutes et tous. Et il est urgent.
Il y a quelques jours se tenait le procès de mon harceleur-agresseur au Palais de Justice de Paris. Comme je l'ai déploré avant l’audience, le harcèlement sexuel n'a pas été retenu dans les chefs d'accusation. J'avais peur que mon harceleur-agresseur ne comprenne pas pourquoi il était là, vraiment. J'avais peur que le message que je portais ne soit pas entendu.
Dans un pays - et plus généralement dans un monde - où la justice est trop souvent patriarcale, j'ai beaucoup apprécié la manière dont ce procès a été traité par le tribunal -composé uniquement de femmes. La question du harcèlement sexuel, harcèlement dit "de rue" mais qui est partout - et sexuel et sexiste avant tout - a été placé au centre du débat. Le prévenu a été longuement interrogé sur ces actes de harcèlement sexuel, qu'il a tantôt niés tantôt minimisés, toujours banalisés. Je doute qu'il en ait pris conscience ce jour-là mais au moins la Justice a reconnu le caractère sexiste de cette agression. C’est en cela que ce procès a été symbolique.
J'ai été autant incroyablement touchée par la plaidoirie de mon avocate Maître Noémie Saidi-Cottier, que profondément écœurée par la plaidoirie de la défense. Quand mon avocate a su rappeler très justement que le harcèlement dit "de rue" est quelque chose de tristement banal et fréquent, qui influe sur la liberté des femmes partout dans le monde, qui est générateur d'insécurité et une expression du sexisme intégré, l'avocate de la défense a minimisé les faits. Elle a osé comparer mon agression à de "vraies agressions" telles que le viol, établissant ainsi une gradation de mauvais goût entre les différentes victimes. Je n’ai pourtant jamais prétendu être la Victime parmi les victimes. J’ai toujours réalisé et dit quelle chance a été la mienne par rapport à d’autres, bien plus malheureuses, qui n’ont eu ni soutien ni procès et dont l’agresseur ne s’est pas arrêté à ces violences. Et d’ailleurs, ne voit-elle pas – ni elle ni tant d’autres - que tout est lié quand il s’agit de sexisme ? J'ai ainsi dû l'écouter remettre en question ma parole, ma version des faits et mon ressenti. Les mots du prévenu - qui avait bu de l’alcool au moment des faits et qui a donné sa version aux policiers plus d’un mois après les faits, version qu'il n'a cessé de changer depuis - avaient à cet instant plus de poids que les miens - pourtant confirmés par de nombreux témoins et livrés dès le lendemain de l'agression.
Pourquoi, après les innombrables témoignages de femmes, #MeToo & #balancetonporc, pourquoi aujourd'hui encore remet-on sans cesse en question la parole des femmes ? Les violences sexistes et sexuelles doivent être condamnées mais la route est si difficile pour les victimes. #WhyIDidntReport l'illustre parfaitement.
L'avocate de la défense a dit au sujet de mon agresseur que le costume de symbole des violences faites aux femmes était un costume trop grand pour lui. S’il ne souhaitait pas le porter, ce costume, il lui suffisait de ne pas harceler les femmes dans la rue. La victimisation des harceleurs et agresseurs doit cesser. Qu'il assume ! Tous les harceleurs et agresseurs méritent ce costume et le portent parfaitement. Il leur sied à ravir.
Pas de solidarité pour les harceleurs et pour les agresseurs. Terminons-en avec cette impunité insultante pour toutes les victimes.
Voici la peine qui a été décidée : 12 mois d’emprisonnement dont 6 assortis d’une mesure de sursis mise à l’épreuve pendant 3 ans avec plusieurs obligations et interdictions : obligation de soins (suivi psychologique et suivi pour sevrer ses addictions), obligation de m’indemniser à hauteur de 2000€, obligation de travailler, obligation de fixer sa résidence, interdiction d’entrer en contact avec moi, interdiction de se rendre dans le 19e arrondissement de Paris et une peine complémentaire : une obligation de suivre -à ses frais- un stage de sensibilisation aux violences au sein du couple et sexistes.
Parce que nous estimions que la prison -telle qu’elle existe- nourrit la récidive, qu’il l’a fréquentée à maintes reprises et qu’elle ne lui permettra pas de prendre conscience de cette violence, nous avons expressément demandé et obtenu qu'il suive ce stage, à ses frais, de sensibilisation aux violences faites aux femmes.
À la fin de l'audience, il a pourtant clamé et assuré ne pas être sexiste. L'homme qui a été jugé et condamné pour proxénétisme a clamé ne pas être sexiste. L'homme qui a été jugé et condamné pour des violences graves sur sa mère a clamé ne pas être sexiste. L'homme qui, en me voyant marcher dans la rue, s'est permis de m'importuner par des bruits à connotation sexuelle, n'a pas supporté que je lui réponde et a ressenti le besoin de m'agresser physiquement, avec un cendrier d'abord puis au moyen d’un coup d'une grande violence, a clamé ne pas être sexiste. L'homme qui n'a pas supporté qu'une femme lui tienne tête a donc clamé ne pas être sexiste.
Ses mots ne font que prouver l’ampleur du problème, les combats que nous avons encore à mener, pour faire connaître et apprendre à déceler les mécanismes nourrissant le patriarcat. Et il n'est malheureusement pas le seul à ne pas réaliser la portée de ses actes. A ne pas réaliser ce qui est profondément ancré chez trop d'hommes : le sexisme et l'impression d'avoir tous les droits sur les femmes.
J'espère que ce stage de sensibilisation lui sera bénéfique. J'espère surtout que des moyens sont mis pour que ces stages soient efficaces. J'appelle la justice à "condamner" tous les hommes sexistes à une obligation de suivre ce stage ! Le chemin est long pour atteindre l'égalité, et il passera par l'éducation.
Et si jamais il récidivait encore, alors j'espère que la peine sera plus lourde et je ne serai plus de celles et ceux qui appellent à la pédagogie mais à la répression. Il faut qu'il comprenne. Nous sommes 7 milliards, et pour vivre en communauté, l'empathie et le respect sont primordiaux. Aujourd'hui, pourtant, les femmes ne sont pas respectées, ici comme ailleurs. Nous sommes trop souvent considérées comme des objets de convoitise, des objets sexuels, des objets domestiques, des objets décoratifs, avant d'être considérées comme des êtres humains, dotées d’une personnalité et d’un libre arbitre, tout simplement. Nous méritons une meilleure représentation de la sexualité que la pornographie, une qui n'humilie pas les femmes, une qui ne nourrit pas les violences et la domination.
Je demande à toutes et tous une tolérance ZÉRO envers le sexisme (mais aussi envers toutes les formes de discriminations). C'est par nous, toutes et tous ensemble, que le changement se fera.
Peu de personnes voient leur harceleur-agresseur jugé et condamné. Je souhaite que cela change, sans avoir besoin de vidéos, sans avoir besoin de médiatisation. Pour toutes les femmes, quelles que soient leur couleur, leur classe sociale, leur histoire, leur âge.
Maintenant ce que je souhaite également, c'est voir les personnes qui m'ont harcelée, insultée, menacée derrière un écran, jugées au Tribunal. Pouvoir les regarder dans les yeux, sur le banc des prévenus, et les entendre tenter de se justifier. #NeRienLaisserPasser
Aujourd'hui je suis fière. Fière d'avoir mené ce combat. Fière d’être féministe. Fière de la mobilisation des milliers de personnes, femmes et hommes, qui m'ont soutenue, ce dont je suis extrêmement touchée et honorée. Fière de mon avocate qui m'a soutenue et défendue. Fière que les médias aient donné une visibilité à la réalité des violences sexistes et sexuelles faites aux femmes. J'espère qu'ils continueront. Fière également des résultats du prix Nobel de la paix 2018, qui vient de récompenser Nadia Murad et Denis Mukwege pour leurs efforts pour mettre un terme à l'emploi de la violence sexuelle comme arme de guerre.
Mais l’actualité nous rappelle au quotidien que le chemin est encore long, comme récemment avec la nomination à la cour suprême d’un homme accusé d’agressions sexuelles.
Nous ne voulons plus de cette violence.
Nous ne voulons plus de cette inégalité.
Nous en avons assez.
Les femmes méritent mieux. Les hommes méritent mieux. L'humanité mérite mieux. Partout, absolument partout sur la planète, nous méritons mieux.
Je marcherai dans les rues françaises le 24 novembre prochain, avec je l’espère des millions de femmes et d'hommes, pour dire stop aux violences sexistes et sexuelles. 1 an après #MeToo, devenons #NousToutes et faisons de cette marche une marche historique.
Et surtout, je continuerai à me battre et à m'engager. ✊"
texte de Marie Laguerre